Voici le texte intégral de la présentation faite hier par Michel Cournoyer, éditeur du Moniteur de l’emploi – Job Market Monitor à la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi
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D’abord merci pour cette invitation.
Mes propositions porteront essentiellement sur un élément du mandat de la Commission, à savoir, comment le Régime peut-il mieux répondre aux besoins du marché du travail?
Les perspectives à long terme d’Emploi-Québec établissent à 7% l’apport des chômeurs aux besoins globaux de main-d’oeuvre d’ici dix ans. Partant du fait qu’au mieux, la moitié des chômeurs sont des prestataires de l’AE, on peut dore et déjà conclure que le Régime contribuera pour moins de 3,5% (la moitié de 7%) aux besoins du marché du travail au Québec dans les dix prochaines années. C’est très peu.
En somme, compte tenu qu’il vise le court terme et a une portée limitée vis-à-vis l’offre de globale de main-d’oeuvre, le Régime est un levier fort limité pour répondre adéquatement aux besoins du marché du travail à long terme. Clairement d’autres moyens, sont nécessaires pour améliorer l’adéquation entre les besoins et l’offre sur le marché du travail au Québec.
Notre proposition procède d’un seul et unique principe: celui qu’il n’est pas nécessaire de faire souffrir indûment les chômeurs pour favoriser l’adaptation, qu’il vaut mieux soutenir l’adaptation que de tenter de l’obtenir par la contrainte, qu’il est possible et souhaitable d’accroître l’investissement dans les mesures actives de manière à soutenir la mobilité professionnelle et géographique des chômeurs.
J’en arrive ainsi à la question du chômage saisonnier dans les régions
Le vieillissement de la population active et l’évolution démographique des régions ressources soulèvent des préoccupations fort légitimes. Il n’en demeure pas moins que globalement, le défi n’est pas d’occuper le territoire en recourant à l’Assurance-Emploi (AE). Non, le défi est ailleurs depuis des décennies. C’est celui de l’emploi et du développement des compétences et des régions. Qu’on le veuille on non, le développement de l’emploi, des compétences et des régions ne s’obtient pas par le soutien du revenu.
S’agissant du chômage saisonnier, le gouvernement du Québec et les partenaires du marché du travail ont en main d’importants outils pour s’attaquer au chômage saisonnier et mieux répondre aux besoins du marché du travail.
Comment ? En utilisant les mesures actives et les services d’emploi financés par le Régime pour aider les travailleurs saisonniers. Pas besoin d’une quelconque ‘contre-réforme’ ou d’une suspension des modifications pour ce faire : l’Accord Canada-Québec donne toutes les marges de manœuvre.
En effet, les grands organismes patronaux et syndicaux sont membres des Conseil régionaux des partenaires du marché du travail et à ce titre, doivent approuver et recommander à la ministre les plans d’action régionaux d’Emploi-Québec. Or, les plans d’action des régions, comme d’ailleurs le dernier énoncé de politique rendu public récemment « Tous pour l’emploi », passent largement sous silence le problème du chômage saisonnier et s’attaquent à d’autres cibles jugées plus prioritaires.
En somme, contrairement à ce que l’on observait historiquement, la lutte au chômage saisonnier n’est plus clairement établie comme une priorité.
De fait, les prestataires saisonniers ne sont généralement pas recrutés pour participer aux mesures et services financés par le Régime. Dans certains cas ils en sont même exclus (ex. les professeurs sur appel dans les grands centres urbains). On en trouvera très peu qui participeront à de la formation ou à des services d’aide à l’emploi dont ils pourraient pourtant grandement bénéficier du point de vue de leur mobilité professionnelle.
En participant à des services et mesures d’emploi, les chômeurs saisonniers amélioreraient leur employabilité et pourraient ne pas être assujettis aux nouvelles règles pendant leur participation. Le cas échéant, des ‘exemptions’ pourraient être clairement établies dans le cadre du Régime.
Mais plus généralement, l’investissement du Régime en mesures actives demeure largement inférieur au plafond prévu dans la Loi de l’assurance-emploi alors que l’on observe toujours un sous-investissement chronique dans les mesures actives au Québec par rapport à la moyenne des pays membres de l’OCDE. Dans ce contexte, le gouvernement du Québec pourrait proposer qu’une enveloppe supplémentaire dédiée aux services et mesures d’emploi aux chômeurs fréquents soit dégagée afin d’accroître l’investissement au titre des mesures actives dans le cadre du Régime. Tous les gouvernements atteindraient alors leurs buts et l’adaptation serait soutenue de façon positive pour les chômeurs.
En outre, les années qui viennent offrent un potentiel sans précédent. Avec plus de 1,4 millions d’emplois à pourvoir au Québec dans les dix prochaines années, selon les chiffres d’Emploi-Québec, il y a certainement place à développer l’emploi pour les travailleurs saisonniers.
Plus encore, l’emploi sera en hausse dans les régions ressources alors que la population active sera au même moment en baisse selon Emploi-Québec.
À notre avis, il est primordiale de tout faire pour que les personnes qui habitent ces régions soient à même de profiter des perspectives d’emploi favorables. C’est une occasion qui ne s’est pas présentée depuis longtemps au Québec et qu’il ne faut pas rater. Mais, il faut aussi s’y préparer. Les travailleurs des secteurs saisonniers ne peuvent jouir d’une mobilité professionnelle et géographique accrue que dans la mesure où ils possèdent les compétences pour le faire et que les occasions d’emploi leur soient rendues disponibles. Ne vaudrait-il pas mieux préparer les travailleurs saisonniers en fonction des emplois dont le recrutement s’annonce difficile que de soutenir faiblement leur revenu année après année?
En somme, le Canada et le Québec font face à un défi pressant: développer l’emploi, les compétences et les régions en répondant mieux aux besoins des différents marchés du travail. Les politiques publiques peuvent faire beaucoup en supportant activement les ajustements nécessaires. Et c’est aussi dans cette optique que devrait évoluer le Régime d’AE.
Par ailleurs, la mutualisation du risque de chômage à l’échelle canadienne est un atout qu’il importe selon moi de préserver. Mais il n’est pas nécessaire pour mutualiser les risques de chômage que l’Assurance-emploi soit uniforme d’un océan à l’autre et gérer centralement.
À titre d’exemple, le modèle américain possède des aspects intéressants qui pourraient améliorer l’efficacité du Régime à répondre aux besoins des marchés du travail, s’ils étaient appliqués ici, notamment :
- Le régime fédéral américain s’appuie sur les régimes d’États qui sont variés, comme l’est d’ailleurs la situation des différents marchés du travail aux États-Unis;
- Il offre un financement conditionnel des régimes d’État et permet donc une flexibilité dans la conception et l’application des régimes;
- Il comporte des dispositions prolongeant la période de prestations dans le cas de ralentissement économique important, selon le taux de chômage de l’État, incorporant ainsi une sorte d’imputabilité du gouvernement fédéral face à la conjoncture économique.
Ainsi, l’une des différences majeures entre les États-Unis et le Canada est comment l’assurance-chômage réagit aux besoins du marché du travail.
Contrairement au mythe très répandu, le programme d’assurance-chômage est plus généreux en période de récession aux États-Unis alors qu’au Canada, la tendance est plutôt à contrôler les dépenses du Régime en y restreignant l’accès. Des millions d’américains ont reçu des prestations ‘prolongées’ d’assurance-chômage pendant 99 semaines suite à la crise financière de 2007-2008, alors qu’au Canada, la durée des prestations est plafonnée à 45 semaines, soit moins que la moitié.
Je considère donc que le rôle conjoncturel anticyclique du Régime devrait être renforcé par un dispositif de prolongement temporaire des périodes de prestations, à l’instar du modèle américain. Nous devons perdre l’habitude de resserrer le Régime au moment où son apport compte le plus.
Nous croyons qu’en appliquant un tel modèle, le Régime d’assurance-emploi pourrait mieux répondre aux besoins immédiats et futurs des différents marchés du travail au Canada en général, et pas seulement qu’au Québec. Et je dis bien des marchés du travail.
La reconnaissance qu’il existe plus d’un marché du travail au Canada est un principe de base de la plus récente position du Forum des ministres du marché du travail qui traite de la Subvention Canadienne pour l’Emploi et qui a été rendue publique la semaine dernière. Nos croyons qu’il est nécessaire d’aller plus loin et qu’une position multilatérale des provinces et territoires à l’égard du Régime d’assurance-emploi basée explicitement sur cette reconnaissance pourrait être développée.
Discussion
Rétroliens/Pings
Ping : Canada – L’assurance-emploi doit se recentrer sur le remplacement du revenu des personnes ayant perdu leur emploi selon un rapport de l’IRPP | Job Market Monitor - 24/07/2015